"Avec Léolia, c'était elle l'entraîneur, et moi l'élève"

25 mai 2022

Léolia Jeanjean s'est qualifiée pour le 2e tour, où elle affrontera Karolina Pliskova. Un de ses premiers entraîneurs à la FFT, Laurent de Pasquale, évoque ses qualités innées.

Laurent de Pasquale, ancien entraîneur de Léolia Jeanjean

Comment avez-vous rencontré Léolia Jeanjean ?

Un jour, en 2006, Patrice Dominguez, qui était alors DTN, me parle d'une jeune qui joue très bien. A l'époque, il y avait deux filles qui sortaient de leur année d’âge : Kristina Mladenovic et Léolia Jeanjean. Léolia venait de jouer une finale en 12 ans avec un an d’avance et Patrice me demande de la superviser.

Elle est donc venue s’entraîner à Roland et j'organisais aussi des sessions à la Grande-Motte, où vivait sa famille, pour qu'elle garde un certain équilibre. J'ai encadré Léolia pendant un an, à partir du mois d'août 2006. Elle venait juste d'avoir 11 ans. On a eu des conditions d'entraînement formidable avec un préparateur physique génial, Cyril Brechbühl.

Léolia Jeanjean, à 17 ans.

Qu’est-ce qui vous a frappé dans son jeu la première fois ?

Son sens du jeu et sa capacité à réaliser ses intentions de jeu. Elle jouait très juste tactiquement, et avec adresse. Elle avait une vision du jeu, elle le "sentait". Elle repérait le moment pour tenter l’amortie, pour monter à contretemps. Elle le fait encore d’ailleurs. Et puis il y avait cette faculté à rester stable émotionnellement.

Dans l’entraînement, elle avait une capacité à enregistrer, à comprendre, à intégrer, puis à automatiser. On ne reproduisait jamais deux fois la même séance. Elle digérait les leçons, puis mettait très vite les acquis en place. Sa vitesse de progression était fulgurante.

Je retiens sa faculté à ne pas avoir de limites et à ne pas avoir peur des autres. Quand elle voyait une fille, elle repérait tout de suite les failles.

Comment s'est passée votre année avec elle ?

Cette année-là, elle a "bouffé" tout le monde. Pour la petite histoire, à 11 ans, Léolia sort des qualifs à Tarbes, aux Petits As, et elle passe les deux premiers tours du tableau final. C'était la folie autour d'elle. Il y avait L’Équipe, des agents.... Puis elle gagne Auray, le gros tournoi 12 ans. Trois semaines après, elle remporte un Tennis Europe catégorie 2 14 ans, puis Nottingham 13 ans...

Elle était très précoce, au meilleur niveau international. Au mois d’avril, elle perdait à -15, 7/5 au 3e. Et là tu te dis : "Waouh, à 11 ans, elle fait ça". Elle était sur une dynamique très positive. Ensuite, en championnat d’Europe par équipes, on perd contre la Russie, et notre collaboration s’arrête là.

Vous souvenez-vous d'anecdotes la concernant ?

Elle m'en a fait plusieurs... Notamment une fois, pendant l'Open Gaz de France, à Coubertin. Les joueuses s’entraînaient au CNE et on était à côté, on regardait l'entraînement des meilleures mondiales. Elle regarde une fille et me dit : "Elle ne se déplace pas bien celle-là". La fille était 28e mondiale ! Et c’est vrai, elle se déplaçait mal. Du haut de ses 11 ans, elle la voyait déjà comme une adversaire, en se disant "Celle-là, je la ferais courir".

Avec Léolia, c'était elle l'entraîneur, et moi l'élève ! Une autre fois, elle voit une fille du meilleur niveau mondial qui sert. Elle me dit "Regarde, quand elle arme, elle change de prise". Et c’était aussi vrai ! Elle avait une vision du jeu, un sens inné. Car le tennis, c’est le temps et l’espace. En fonction du temps que j’ai, je vais utiliser plus ou moins l’espace.

Tous les anciens joueurs adoraient Léolia, car elle avait "une main". Jérôme Potier, Georges Goven, Thierry Tulasne, Rodolphe Gilbert... Des sparrings de luxe ! Et pour elle, pas question de perdre !

Je me souviens d'un match avec Jérôme. Il avait une maîtrise telle du jeu par rapport à elle qu'il jouait avec le score. Il jouait juste ce qu’il fallait pour qu’il y ait 10-10, mais il ne donnait jamais le match. Même s’ils ont 50 balais, ces gars haïssent la défaite.

Donc Léolia perd, elle est en larmes sur le banc. Jérôme lui dit "Léolia, qu’est-ce qui ne va pas ?". Elle pleurait "J’ai perdu, j’ai mal joué". Et Jérôme dit : "Est-ce que tu t’es battue ? Oui, donc c’est bon".

On a essayé de lui inculquer cette notion d’effort, d’audace, pour taper fort dans la balle et développer un jeu en adéquation avec ses qualités, l’agilité de la main.

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Aujourd’hui, est-ce qu’elle a changé ?

Pas vraiment, sauf physiquement bien sûr. Je suis allé la voir jouer au premier tour, ça m’intéressait évidemment. Je suis très content pour elle. J’ai retrouvé chez elle cette capacité à gérer parfaitement ses émotions et à varier son jeu.

Pensez-vous qu’elle peut atteindre le Top 100, voire mieux ?

Oui, tout à fait. Elle a toutes les qualités. Si elle se donne les moyens d’avoir une structure pérenne avec des gens bienveillants et compétents, je pense qu'elle trouvera l'équilibre pour aller plus haut.(Recueilli par Emmanuel Bringuier)