Le match de ma vie (18) : Bastien Fazincani

3 octobre 2019

"Pendant deux heures je me suis demandé si je n’allais pas quitter mon job et me lancer sur le circuit !"

Vous avez joué un match de 12 heures ? Vous avez battu Roger Federer quand il était jeune ?  Vous avez gagné après avoir été mené 6/0 5/0 40-0 ? Vous avez gagné un tournoi en jouant pieds nus et en costume cravate ? Dans cette nouvelle rubrique, nous vous invitons à partager vos plus belles expériences sur le court, quel qu'il soit (tennis, padel, beach...). Dix-huitième épisode : 

Identité : Bastien FazincaniClub actuel : coach à l’académie French Touch au Cap d’AgdeMeilleur classement : 1/6Année de naissance : 1985

Tout d’abord Bastien, précisons que tu travailles dans le tennis... 

Je suis coach de tennis à l’académie French Touch du Cap d’Agde. Mais je passe aussi une quinzaine de semaines par an sur le circuit, notamment pour accompagner une joueuse hongroise de 21 ans, Dalma Gálfi, qui avait été championne du monde juniors en 2015. Avant elle, j’ai travaillé notamment avec Dayana Yastremska ou Alizé Cornet.  

Quand as-tu commencé le tennis ?  

J’ai commencé le tennis à 10 ans au Tennis Club de Sartrouville dans le 78. C’est le club de ma vie. Celui où j’ai commencé et celui où j’ai passé mon brevet d’Etat il y a 15 ans. J’ai aussi été le directeur sportif de ce club. 

Et donc, il y a une période de ta vie où tu as joué des tournois Futures...

J’ai joué les qualifications de deux tournois Futures en 2006. À Plaisir, où j’ai passé un tour par forfait avant d’être battu en deux sets. Et à la Roche-sur-Yon, où j’ai battu... l’un des amis que j’accompagnais. J’avais fait le déplacement avec les frères Mannarino, Adrian et Morgan, dont je suis très proche. Et c’est Morgan, qui est né en 1985 comme moi, que j’ai battu. Un souvenir incroyable !

Tu étais un peu leur "sparring-partner" ? 

Je n’étais classé "que" 1/6 mais ils aimaient bien taper la balle avec moi, même si à l’époque ils étaient déjà bien plus forts. 

Qu’est-ce qui t’a manqué pour être à leur niveau selon toi ? 

L’envie (rires). L’envie de m’entraîner dur. J’avais peut-être un peu de potentiel pour jouer, mais pas de potentiel mental. 

Et donc, tu as accompagné Adrian et Morgan sur une petite tournée ? 

Durant l’été 2006, l’un des deux frères, je ne sais plus lequel, m’avait dit "viens avec nous à la rentrée, on va aller faire quelques Futures". J’étais dispo à ce moment-là et j’ai accepté, d’autant que mon classement me permettait d’avoir une place en "qualifs". Je n’avais jamais disputé de Futures et me disais que ça pouvait être sympa... Du coup, je me suis préparé avec eux. J’ai vécu chez eux pendant un mois. On jouait à bloc tous les jours. Leur papa Florent était là aussi. Puis, nous sommes partis tous ensemble à la Roche-sur-Yon.

C’était un gros tournoi Futures : dans le grand tableau, il y avait notamment, outre Adrian qui était déjà fort, Malek Jaziri, Lukas Rosol, Alexandr Dolgopolov, Denis Istomin ou Julien Jeanpierre... Sur place, je partageais la même chambre que Morgan. Adrian, lui, était dans une autre chambre. 

Et donc le tirage au sort...

Je me souviens de Morgan venant me voir après avoir vu le tableau. "Bastien, on joue l’un contre l’autre au premier tour !" me dit-il. Morgan était -15 et moi 1/6. Ça faisait un sacré écart. À l’entraînement, je ne faisais que des tie-breaks contre lui et je n’en avais alors jamais gagné un seul... Donc, ça m’ennuyait un peu d’avoir à l’affronter. D’accord, je n’aurais jamais joué ce tournoi Futures si les frères Mannarino ne m’avaient pas demandé de les accompagner, mais je m’étais pris au jeu. Sur le coup, je me disais que j’aurais préféré jouer un -2/6 que j’aurais pu peut-être un peu accrocher, car j’avais déjà "perfé" contre des négatifs. 

Comment s’est passé le match ? 

On a donc dormi dans la même chambre la veille du match. On a pris le petit déjeuner ensemble. On s’est échauffés ensemble avant le match. Ce qui a fait rire tout le monde d’ailleurs, surtout Morgan, qui je pense était convaincu de me mettre une raclée... 

Et tu as finalement gagné ? 

J’ai gagné 6/3 3/6 7/6, 7 points à 4 dans le tie-break ! 

© FFT

Quels souvenirs gardes-tu de cette "perf" de ta vie ? 

J’ai quelques bribes qui me reviennent. Je me souviens que j’avais très bien servi, c’était mon arme principale. Je me souviens qu’Adrian était venu voir le match en spectateur. Je me souviens que Morgan casse sa raquette de dépit à la fin du match. Je me souviens que c’était en indoor et que j’avais mis des chaussures de terre battue dans lesquelles je me sentais très bien. Je me souviens aussi que j’avais joué avec une tenue que m’avait passée Adrian. Et je me souviens que ça a tendu notre amitié pendant quelques semaines... 

À ce point ? 

On s’entend très bien. Mais sur le coup, il m’a reproché d’avoir joué ma carte à fond et de m’être encouragé pendant le match. De l’avoir joué très compétiteur. Lui ne faisait pas ça. C’était un "guerrier pacifiste". Moi, j’exultais sans arrêt, à chaque point gagné. C’était l’un de mes seuls atouts, donc je le faisais à fond.

A-t-il assisté ensuite à ton deuxième tour de "qualifs" ? 

Pas du tout. Morgan, si tu lis cette chronique, j’espère que tu vas en rire (rires) ! Après ma victoire contre lui, je n’étais pas rentré tout de suite à l’hôtel. C’était la victoire de ma vie. Je voulais savourer. Pendant deux heures, je me suis même demandé : "Qu’est-ce que je fais, je quitte mon job et je me lance sur le circuit ?".

Je me pensais super bon (rires). J’avais appelé mon entraîneur de l’époque, et j’avais appelé deux ou trois potes pour partager ça avec eux... Et quand je suis rentré ensuite dans ma chambre à l’hôtel... je n’ai pas revu Morgan. Ses affaires avaient disparu. Lui aussi. Il était parti. C’est ma plus belle victoire (c’est mon seul -15) mais c’est aussi la pire défaite de Morgan (rires). Mais je pense qu’il préfère que sa pire défaite soit contre moi. On est très bons amis.  

Et ce deuxième tour alors ? 

J’ai affronté Artem Sitak (ndlr : joueur néozélandais, 32ème joueur mondial en double en 2018, et 299ème en simple en 2008). Je ne pouvais plus bouger. Je ne pouvais plus servir. Je n’arrivais plus à soulever l’épaule. Il m’a collé 6/1 6/1. Sitak servait super bien. Il claquait des premières balles à plat et qui rebondissaient super haut. Je devais retourner en slice. Ça m’a fait redescendre de mon petit nuage et ça m’a ramené à ma réalité, celle d’entraîneur de tennis.  

Et vous avez donc joué un autre Futures, à Plaisir ? 

Oui, quasiment dans la foulée. J’ai le souvenir que Jo-Wilfried Tsonga jouait sur le court d’à côté. Il traversait une époque assez difficile car il était souvent blessé. Il avait atteint la finale. C’est le tournoi qui l’a vraiment relancé. Il repartait vers le haut. Moi j’ai passé un tour par forfait, avant d’être battu en deux sets au tour suivant par Cyril Spanelis. Ma "carrière" sur le circuit s’est arrêtée après ces deux Futures (rires) !