Le mot de la DTN : la formation des filles

13 novembre 2020

Ce nouvel épisode de la prise de parole de la DTN est consacré à la formation des jeunes filles. Alexandra Fusai, responsable du Département 10-18 ans filles, et Vincent Bonnetain, cadre d'état, détaillent les actions mises en place.

Quelles feuilles de route vous a dressées le DTN Pierre Cherret sur le sujet de la formation des filles ?

Alexandra FusaiMa mission vise à coordonner le parcours 11-18 ans filles, c’est-à-dire d'assurer une cohérence dans la stratégie mise en place sur le parcours vers le haut niveau à partir de l'âge de 11 ans.J'ai deux collaborateurs à mes côtés : Vincent (Bonnetain) qui coordonne le circuit Tennis Europe pour les 11-13 ans et Hugo Lecoq qui coordonne ITFjuniors pour les 14 – 18 ans. Même s’il s’agit de deux circuits différents, l’objectif est d'assurer une cohérence sur la stratégie d’accompagnement de joueuses françaises tout au long du parcours vers le haut niveau.Nous avons d'abord analysé le parcours des 100 meilleures à la WTA puis défini une stratégie dans le but d'avoir des joueuses performantes sur le circuit Tennis Europe et chez les juniors. Et ce afin de faciliter la transition vers le circuit professionnel WTA.Nous avons constaté un retard de nos Françaises dès le plus jeune âge : il nous faut davantage de joueuses qui performent dans ces jeunes catégories pour pouvoir rivaliser au niveau adulte avec les autres grandes nations du tennis féminin. Pour parvenir à cela, il nous faut mettre en place des actions précises tout au long du parcours des jeunes filles.

Vincent BonnetainPierre m’a demandé d'être responsable Tennis Europe pour les 11-14 ans garçons et les 11-13 ans filles. L'objectif premier était de renforcer le suivi à l’international pour nos jeunes dans leur programmation de compétitions. Chez les filles, nous avons proposé un plan d’actions élaboré à partir d’un groupe de travail constitué d’une vingtaine de personnes pour combler notre retard, notamment chez les 12 ans et moins.Pour se donner un objectif plus précis, nous avons eu la volonté d'être rapidement plus performants dans les grands tableaux Tennis Europe U14 (Tarbes et Tim91 notamment), et à Auray (Open Super 12), qui est un tournoi de référence à l’international dans la catégorie 12 ans et moins.

Alexandra Fusai (à d.) aux côtés des jeunes filles de Winter Cup.

Vincent Bonnetain a lui aussi été capitaine des équipes de France jeunes filles;

Hugo Lecoq est lui aussi impliqué dans la formation des jeunes filles.

Pouvez-vous détailler ces actions que vous mettez en place, dans les territoires notamment ?

Alexandra FusaiL’analyse du parcours des 100 meilleures joueuses mondiales du circuit WTA, c’est-à-dire les circuits Tennis Europe et ITF juniors qui ont précédé, montre un parcours balisé pour la majorité des joueuses (80%). Nous savons notamment que 40 des 50 meilleures joueuses mondiales WTA ont été dans le top 50 meilleures mondiales juniors avant leurs 17 ans. Concernant le circuit Tennis Europe, nous avons analysé sur 10 ans le nombre de joueuses françaises dans le TOP 100 et le TOP 200 au classement U14 en comparaison aux étrangères qui jouent ce circuit. Force est de constater que nous ne sommes pas assez représentés (2%).Ce qui frappe, c'est qu'aux Petits As de Tarbes, toutes les meilleures à la WTA aujourd'hui ou presque sont passées par des finales, demies ou quarts.Concrètement, quand la Russie ou les Etats-Unis, les 2 pays les plus représentés dans ce TOP 100 WTA, mettaient 5 à 10 joueuses par an dans le top 100 mondial juniors, nous n'en avions que 4 ou 5 en cinq ans. Pareil pour Tarbes, nos résultats sont très en deçà malgré les wild-cards. En 2019, avec 13 filles au 1er tour des Petits As, on avait seulement deux Françaises au 2e tour et ceci s’est répété en 2013, 2014, 2015 et 2017. Le constat, c'est que la précocité est importante.

La densité des joueuses françaises performants sur les circuits Tennis Europe et ITF juniors n’était pas donc suffisante. Ce n'est pas possible pour une fédération comme la nôtre aujourd’hui.Comment peut-on espérer avoir beaucoup de joueuses plus tard dans le top 100 WTA avec le retard pris dès le plus jeune âge sur ce parcours balisé des 100 meilleures mondiales avec des lieux de passage bien identifiés ?

A la lumière de ces résultats, on a donc mis en place ce groupe de travail. Celui-ci était constitué d’entraîneurs fédéraux/nationaux, de médecins, de psychologues, de préparateurs physiques, de kinés qui connaissent le parcours, qui entraînent sur le circuit… Le but était de se servir de ces expériences pour faire évoluer notre accompagnement des jeunes filles afin de leur permettre d’être fortes plus tôt.Nous avons observé l’organisation mise en place par les Américains, les Tchèques, les Canadiens. Ils arrivent à être plus précis et qualitatifs plus tôt dans leur formation. Ceci est permis notamment grâce à une scolarité aménagée.En France, on a des jeunes filles qui finissent les cours à 17 heures, puis qui courent pour aller s’entraîner alors qu'elles sont debout depuis 6h30 du matin. Nous nous sommes appuyés aussi sur des études qui montrent que la capacité d’apprentissage est beaucoup plus importante trois heures après le réveil matinal et qu'elle régresse ensuite.Notre groupe de travail a réfléchi autour d'une idée essentielle : comment s’entraîner mieux et plus, tout en trouvant un meilleur équilibre de vie familiale, avec une scolarité performante et en préservant l’intégrité physique et morale de la jeune fille.Pour cela il fallait organiser les journées différemment. Nous avons donc mis en place les "classes fédérales".La scolarité se fait à distance, cela permet d’organiser les entraînements et les cours en fonction des capacités du jeune et d’être plus précis dans les contenus.La volonté du groupe de travail qui a réalisé le projet du référentiel de formation filles (voir ci-dessous) était d’avoir une ligne directrice, une cohérence nationale sur la formation et l’accompagnement des jeunes filles vers le haut niveau en respectant son équilibre familiale et scolaire.Nous avons défini des nouveaux axes de formation et développé toutes les dimensions d’un projet : nous sommes partis des objectifs généraux dans chaque cycle de l’évolution de la jeune (7 ans et moins, 10 ans et moins et 14 ans et moins) en détaillant des contenus de formation spécifique (avec des compétences clés à acquérir), des volumes d’entrainement, de compétitions mais aussi le rôle de l’entraîneur, des parents et de la joueuse tout au long de son parcours.

Vincent BonnetainL’idée est de permettre d’avoir chez nous également des filles très précoces, des Cori Gauff. Le système français ne le permettait pas. Le but n’est pas de tout casser. On veut pouvoir obtenir des progressions à la Caroline Garcia. Mais on peut faire mieux, proposer mieux. Elsa Jacquemot vient de gagner Roland-Garros juniors mais à Tarbes elle avait fait 1er tour. Le constat est équivalent pour Diane Parry, n°1 mondiale juniors. Peut-être que si on avait pu leur proposer les classes fédérales, elles seraient plus fortes aujourd’hui.Il faut qu’on puisse amener des jeunes à être très performantes dès 14 ans. Lorsque nous avons fait des rencontres internationales contre les Anglaises en fin de 10ème année (ce ne sont pas les Tchèques ou les Russes...) avec la génération 2004, 2005 et 2008, nous n'avons pas gagné un seul match sur… 42 disputés. Je ne crois pas au hasard sur 3 générations et c’est donc à cet âge-là que nous avons déjà un retard conséquent sur les étrangères par rapport à la formation initiale.

© FFT / Philippe Montigny

Avec les classes fédérales, les jeunes filles peuvent s'entraîner mieux et jouer davantage de tournois à l'étranger.

Pouvez-vous détailler la mise en place de ces classes fédérales ?

Vincent Bonnetain

Celles-ci ont été créées suite à une demande des CTR lors d’un stage annuel afin de répondre à l’absence d’aménagements de la scolarité sur certains territoires.

Dans ces classes fédérales (mixtes), les plus jeunes sont nés en 2011 et les plus âgés sont des 2005. Sur l’ensemble de la France cela représente 47 enfants (21 filles et 26 garçons) qui sont aujourd’hui intégrés dans ces classes fédérales.Les cours sont réalisés en visio conférence. Les effectifs sont plafonnés à 8 par classe, avec beaucoup d’interaction. Les professeurs m’ont expliqué qu’en moyenne un enfant qui une scolarité classique de la 6ème  à la terminale s’expriment en oral dans sa classe au total 2h30 sur 6 années. Avec ces classes les 2h30 de participation orale sont pratiquées en un seul trimestre pour une matière comme l'anglais.Les élèves ont 20h de cours particuliers qui sont à définir en fonction du besoin de l’enfant. C’est la famille qui va choisir par l’intermédiaire de la directrice quelles matières il y a besoin d’approfondir. C’est très personnalisé. Les enfants ont plus de temps pour s'entraîner mais aussi pour faire leurs devoirs : leur scolarité leur convient très bien. Depuis 6 mois on a plus en plus de demandes… Les résultats du CNED sont encourageants, il y a un suivi important car on a un contrat avec les parents et la famille.Alexandra FusaiJusqu'ici on faisait les choses à l’inverse, une scolarité normale jusqu’à 14 ans et puis après on décidait d'y aller à fond sur le tennis. Au moment où il y a des choix à faire importants au niveau scolaire… On propose désormais aux jeunes ayant un projet fort une organisation différente plus jeune, avec une scolarité efficace et adaptée à leur parcours permettant de progresser plus vite dans leur passion.

Dès 14-15 ans, ils pourront ainsi faire un retour à une scolarité classique s'ils le souhaitent selon leurs résultats et motivation ou poursuivre les classes fédérales avec une scolarité adaptée à leur projet.Vincent parlait du lien social avec cette scolarité différente. Ils (elles) l’ont aussi avec le tennis puisqu'ils voyagent beaucoup, ils voient du pays… A 14 ans la plupart ont déjà vu une quinzaine de pays, des cultures différentes, c’est une richesse pour des jeunes.Autre point important, la commission médicale va les suivre sur plusieurs années. La FFT est précurseur, c’est la première fédération à faire ça et d’autres semblent très intéressées par ce dispositif. On est très attentifs à ce qui se passe. Vincent est le pilote de ce projet des classes fédérales. Dans quelques années, on pourra acter de l’évolution du niveau des élèves. Mais déjà les chiffres changent. Je ne vois pas comment on ne pourrait pas avoir plus de densité de joueuses françaises dans les classements internationaux avec cette action.

Cet aménagement scolaire permet comme je l’ai déjà précisé, de définir de axes de formation plus précis et d’accompagner de façon plus qualitative la jeune fille dans sa passion.

Les cours des classes fédérales se font en visioconférence.

Pour parler des juniors, des plus âgées donc, les récents succès de Clara Burel, Diane Parry et Elsa Jacquemot ont-ils une explication ?

Alexandra FusaiIl y a d’abord une prise de conscience des équipes des joueuses de l’investissement nécessaire sur ce circuit formateur qui fait monter les niveaux d’exigence et de compétence de toute la cellule d’entraînement. Cela a créé une émulation globale avec plus de joueuses engagées sur le circuit international juniors.Les coordonnateurs des circuits TE et ITF juniors ont un rôle majeur dans cette dynamique avec un suivi et du conseil données aux différentes structures d’entrainement permettant d’avoir une organisation plus structurée, précise et performante.Pour amener tout le monde vers cette dynamique internationale, nous avons aussi décidé d’accompagner les Projets internationaux de façon plus importante au niveau financier, permettant aux jeunes d’aller davantage sur des tournois internationaux. Les coûts engendrés pouvaient être un vrai frein auparavant. On couvre ces frais pour qu'ils puissent s'aguerrir sur ces circuits.

On a balisé le parcours, par rapports aux projets internationaux, avec des objectifs par année d’âge, des repères et des critères de classements.On veut développer la notion de mérite.

Grâce à cette démarche nous avons pu accompagner encore plus loin et plus haut 3 d’entre elles avec 3 titres de championnes du monde et un titre à Roland Garros junior : Clara Burel et Diane Parry au sein de notre structure fédérale (CNE) et Elsa Jacquemot en tant que Projet international au sein de sa structure d’entraînement

Vincent BonnetainCes repères sont essentiels. Mais il y a aussi notre part d'expertise qui nous permet à Alexandra et moi d'avoir des "challengers", c'est-à-dire de pouvoir décider d'aider des jeunes même s'ils n'ont pas réussi à entrer dans ces repères. On parvient ainsi à garder de l'émulation et une dynamique pour ceux et celles qui sont moins précoces…

© FFT / Cristope Guibbaud

Tour à tour championne du monde juniors, Clara Burel et Diane Parry ont pu s'aguerrir dans des tournois à l'étranger grâce au soutien de la FFT notamment.

© FFT/LW

Elsa Jacquemot, victorieuse de Roland-Garros juniors.